Le chemin des 9 mondes
J'ai découvert les Indiens Kogis de la Sierra Nevada de Santa Marta en Colombie grâce au trés beau témoignage d'Eric Julien dans son livre "Le chemin des neufs mondes", Albin Michel, 2001, Collection Essais/Clés.
J'ai été profondément émue par ce récit qui nous offre de découvrir toute la fine complexité des relations que les Kogis entretiennent avec l'Univers, terre, ciel, mer, animaux, plantes, arbres, humains. Les Kogis sont les descendants des Tayronas qui étaient les indiens de l'époque précolombienne. Pour eux, le corps, l'esprit et l'environnement, intimement reliés, doivent être maintenus en harmonie. Leur équilibre écologique et spirituel est hélas, en grand danger aujourd'hui. Mais sans doute cet équilibre est-il en danger depuis l'invasion de leurs terres par les conquistadores... Or les Kogis résistent. Comme les plantes millénaires. Mais il est nécessaire, vital de les soutenir. Ce livre est un bienfait pour l'esprit et le coeur, résultat d'une parole en marche, d'une parole appliquée, vivante, en réponse à un besoin vital exprimé à Eric Julien par une population aux frontières de l'extermination, de la dématérialisation. Si les Kogis, gardiens de la Sierra, disparaissent d'une manière ou d'une autre, c'est encore un peu plus de l'Ame du monde qui disparaît, de notre âme à nous peuples d'Europe, de ce que nous avons de meilleur. Il faudrait autant d'Eric Julien sur cette Terre qu'il y a eu de "Con-qui-s'adorent" (savoureux jeux de mots de notre poète-rapeur MC Solaar !) pour rétablir l'harmonie du monde. Mais sans Eric Julien et les siens, le monde ne pourrait pas maintenir la vitalité minimum dont il a besoin pour survivre et se transformer. Car la Terre va se transformer et ses habitants avec elle. Elle va connaître de nouveaux cycles de mutations, et les Kogis en feront partie.
Depuis que l'homme hyper-civilisé, cartésien, moderne a foulé le sol des territoires appartenant aux peuples autochtones, ceux-ci ont décliné par extermination ethnique, et de nos jours pour certains, par auto-destruction désespérée. Quel effet cela vous ferait-il si demain une troupe d'inconnus arrogants et armée jusqu'aux dents, débarquait chez vous et faisait main basse sur votre maison, vos biens, votre famille au nom d'une idéologie de vous totalement inconnue ? Et vous n'avez pas le choix de vivre comme avant. Personne n'est là pour vous défendre. Vos voisins subissent la même invasion... Vous devez tout céder au nom d'un nouvel ordre du monde... Vous pouvez fuir si vous en avez encore le temps, vous retrancher vers des terres encore libres, mais pour combien de temps ? Insupportable n'est-ce pas ? Ce schéma se produit pourtant aussi sur nos terres européennes (conflits en Serbie-Croatie-Kosovo-Montenegro; invasion russe en Afghanistan, en Tchétchénie, invasion américaine en Irak,et vous en connaissez sans doute d'autres que j'oublie de mentionner... Même les jolis casques bleus de l'ONU ne parviennent pas à dissuader, à rétablir véritablement la Paix. Leur force symbolique, leur pouvoir évocateur est devenu peut-être incompréhensible. C'est que l'homme robot post-moderne ne sait peut-être plus lire les symboles... Il ne comprend que le langage brut des parts de marché, les onomatopées de ce qui lui sert de pensée, les borborygmes de sa consommation effrénée...Il attend qu'on lui donne le programme, le logiciel pour penser, comprendre et aimer ?
Les indiens Kogis eux sont confrontés aux troupes para-militaires, aux narcotrafiquants, aux humanoïdes sans âmes et perdus qui viennent semer la mort sur des terres qui appartiennent depuis la nuit des temps aux "hommes vrais" qui la respectent et qui la soignent. Qui aide les Kogis ? Le gouvernement colombien ? Vide de sens ! Exsangue ! En quoi les petits indiens Kogis peuvent-ils bien retenir l'attention ? Ont-ils du pétrole ? De l'or ? Eux les Gardiens naturels de la Terre se retrouvent dans le devoir éthique de réclamer des terres puisque d'autres humains viennent s'approprier avec arrogance et violence un bien commun à l'humanité... Des enjeux de pouvoir, des intérêts économiques et financiers motivent des actes barbares, que les politiques ne répriment même plus. Alors si le politique ne fait rien ou si peu pour éviter la disparition des Kogis, qui le pourra ? L'UNESCO ? Les Kogis eux-mêmes et ceux qui les aiment. Eric Julien et ses amis de Tchendukua. Humblement et dignement. Jusqu'au bout.
Certains peuvent entrer en résistance, d'autres tenter de s'adapter avec le soucis de préserver leurs racines et leur culture si on leur donne la possibilité, si on les aide à y arriver.
Une fois de plus je peux constater que ce "peuple premier", les Kogis, est lui aussi en voie d'extinction comme les aborigènes d'Australie, comme les Indiens d'Amérique du Nord, les Indiens d'Amazonie, les Touaregs, les Innuits, la liste est longue... Pourquoi ? Parce que leur modèle de société n'est pas accepté ni respecté ni compris par notre modèle de société moderne, technologique, dite avancée. Mais si ces hommes sont en danger de disparition au même titre que les forêts, les animaux sauvages, les carrés de nature et d'arbres dans nos villes, cela signifie qu'à brève échéance notre disparition, celle de notre modéle sociétal, est en route également. Et cette conséquence résulte du principe d'interdépendance qui relie les créatures du vivant entre elles. Je vous invite à lire sur https://www.buddhaline.net/spip.php?article795 ... le bel article de Lama Denys "La règle d'or : interdépendance et responsabilité" pour mieux comprendre les enjeux fondamentaux que ce principe contient pour une cohabitation plus pacifique entre les peuples.
Voici des extraits du livre d'Eric Julien "Le chemin des neufs mondes". J'espère que ça vous donnera envie de le lire et donc de l'acheter. Le livre est préfacé par le comédien Pierre Richard, Président d'honneur de l'association Tchendukua créée en 1997 par Eric Julien (lien vers l'association en première page de ce blog), qui grâce à sa participation généreuse a pu contribuer au rachat de terres sacrées de la Sierra pour qu'elles soient restituées aux indiens Kogis.
En lisant ce livre, chacun chacune fait un petit geste, agit sur un plan microcosmique, donne un peu de son temps à penser à ce peuple si intéressant qui vit non loin de chez nous puisqu'il partage le destin de notre si belle planète bleue et verte la Terre.... Que serait la mer sans les gouttes d'eau ? La Terre sera-t-elle noire et grise un jour prochain vue de l'espace ? Envahie de nuages de polluants chimiques, agro-industriels, d'hydrocarbures, de poissons morts flottants sur les océans, et de carcasses d'oiseaux tombés du ciel sur nos autoroutes urbaines ? Est-ce que les catastrophes ponctuelles vont devenir notre spectacle quotidien ? "La qualité de la vie depend de la pensée des hommes" croient les Kogis.
EXTRAITS :
Page 101 :" Tout est sensible, la terre, les pierres, l'eau. La terre a une âme, un esprit comme tous les êtres. C'est notre terre, notre mère. Nous sommes les enfants de la terre, nous pouvons nous déplacer, marcher sur cette terre, mais c'est elle qui nous protège. Nous sommes sortis du ventre de la mère, mais nous sommes toujours dans le ventre de la terre. Lorsque nous mourons, nous retournons dans le ventre de la terre. Au moment de mourrir, la terre reçoit de nouveau ses enfants. Le destin, c'est de revenir vers la terre, c'est ainsi, nous devons revenir vers la terre pour maintenir l'équilibre, pour lui donner sa force, et pour que revienne la vie. La vie spirituelle ne peut pas être dissociée de la vie quotidienne terrestre. Lorsque l'on parle de la vie spirituelle, on parle de l'essence des choses, cette essence qui supporte la vie matérielle, c'est important de préserver cela."
Page 102 :"La montagne, c'est comme une Kankurua, un temple. Dans les montagnes il y a un savoir accumulé, chaque montagne a une pensée privilégiée. Si l'on veut travailler un sujet, alors on va sur la montagne adaptée pour cela. Quand l'armée s'est installée sur le Cerro Brasil, ils ont détruit la connaissance qu'il y avait dans cette Kankurua. Cela explique pourquoi l'eau qui sort de cette montagne commence à diminuer. Si cette kankurua s'abîme, l'eau va disparaître, tout va disparaître. Les actions des Bonachuï causent de graves déséquilibres, nous ne demandons pas de nourriture pour couper la faim, pas de couverture pour nous protéger du froid, nous voulons simplement retrouver nos terres, pour que la vie, la nôtre, la vôtre continue. La Sierra est un site fragile ; s'il s'abîme, de nombreuses catastrophes vont survenir."
Page 157 : "Derrière la hutte où nous avons passé la nuit, un homme s'est installé pour tisser. Assis sur un petit tabouret, il chantonne doucement en faisant glisser la navette de gauche à droite entre les trames du tissu. Exclusivement utilisé par les hommes, le métier à tisser incarne le monde. Il rend l'ordre pensable en offrant une forme aux possibilités. Regarder ou utiliser un métier à tisser, c'est entrer en interaction avec l'univers et les forces cosmiques qui l'animent. Les Kogis disent que tisser, "c'est penser, c'est mettre les choses en accord les unes avec les autres. Comme la vie, le tissu a deux faces. Le soleil symbolisé par le fuseau, progressant en spirale d'arrière en avant, tisse en permanence les deux faces de l'étoffe, une face pour le jour et une face pour la nuit, pour la lumière et pour les ténèbres, pour la vie et pour la mort
Tisser, pour les Kogis revient donc à construire sa vie dans le cadre d'un ensemble de relations qui permet "d'enrouler les pensées et d'être enveloppé dans la sagesse de la vie comme on s'enveloppe dans un tissu". La qualité de la vie dépend de la pensée des hommes. Les pensées doivent être belles et bonnes pour que la vie du Kogi soit digne, sincère et heureuse".
A méditer....
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